Pauline habite à Jette, depuis peu. Elle est heureuse car grâce à elle et à son ami Jacques (lui aussi récemment installé), à l’aimable collaboration d’un échevin MR de la commune de Ganshoren qui rêve de faire de ce quartier un « quartier touristique », à la passivité (lâcheté ?) des élus de ces deux communes et aux membres du cabinet de la ministre (tout ce beau monde se connait et se fréquente), l’avenue Broustin a été fermée.
Fini ces abominables voitures qui lui pourrissaient la vue et la vie, place au quartier apaisé et aux pots encore copains sur la nouvelle terrasse à côté de chez elle. En plus, cela va probablement faire augmenter la valeur de son bien immobilier acheté avant la fermeture !
Ancien membre de cabinet de deux ministres, actuelle collaboratrice d’un bourgmestre et rompue aux opérations de communication, Pauline aime se présenter, lors d’une interpellation à la commune pour soutenir la fermeture de l’avenue Broustin ou devant les médias, comme une « simple citoyenne », « pas politisée », soucieuse de la vie de son quartier et de ses habitants. Même chose pour Jacques et les autres, « simples citoyens » membres de l’asbl Heroes for Zero, subventionnée à prix d’or par Bruxelles mobilité pour relayer sa politique anti-voitures sur le terrain.
L’utilité d’un magasin de vêtements de travail à Broustin
Pauline est heureuse. Enfin presque. Il y a encore quelque chose qui lui gâche la vue et la vie : les commerces de Mahmoud, près de chez elle. Mahmoud est un citoyen belge d’origine syrienne. Après avoir traversé la méditerranée avec ses parents et ses deux frères et sœurs, dans les conditions que l’on connait, il a réussi à monter un commerce qui lui permet de vivre, et sa famille avec lui (sa femme, ses parents et son frère). Il est honnête, gentil, paie ses impôts et ne demande d’aide à personne. Il finance les études de son jeune frère, qui pourra ainsi, peut-être prétendre un jour à une vie meilleure.
Enfin ça, c’était avant la fermeture de l’avenue Broustin. Car depuis cette fermeture, Mahmoud a perdu près de 80% de son chiffre d’affaires. C’est que Mahmoud possède dans cette avenue deux commerces dans lesquels il vend du matériel et des vêtements pour professionnels : bâtiment, cantines, hôpitaux, caissiers ou caissières de supermarché… des trucs pour les « travailleurs de première ligne » qu’on a pourtant tant applaudis il n’y a pas si longtemps, mais qui ne sont d’aucune utilité pour Pauline et ses amis, et pour beaucoup d’habitants du quartier. Les clients les plus importants de Mahmoud viennent de l’extérieur. Ils lui ont fait savoir que compte tenu des difficultés de circulation et de stationnement auxquels il étaient désormais confrontés, ils iraient désormais s’approvisionner ailleurs.
Mahmoud est contre le plan Good Move
Il est possible que cela attriste un peu Pauline, mais pas trop quand même. Mahmoud est contre le plan Good Move. Il a même osé poser des autocollants et affiches sur ses vitrines, quel manque de goût ! Il s’agit à l’évidence d’une de ces personnes qui ne veulent pas comprendre qu’elle et ses amis font leur bonheur malgré eux, d’un de ces « barbares » qui n’ont pas leur place dans la ville radieuse qu’elle contribue fièrement à construire. Dans cette lutte du bien contre le mal, il faut savoir prendre des décisions fermes, même si cela coûte. Et puis ce serait tellement sympa si à la place des magasins de Mahmoud, qui n’est décidément pas « quartier apaisé compatible », on pouvait avoir une petite épicerie bio, un magasin de réparation de vélos ou une extension du bar d’à côté qu’elle aime tant.
Ce que cela implique pour Mahmoud et sa famille, à vrai dire, ce n’est pas son problème. Elle est investie de la lourde mission de « remettre l’humain au cœur de la ville » (traduisez par : développer les « mobilités douces » au détriment de la voiture), pas de faire preuve d’empathie envers quelqu’un qui n’est pas son semblable.
Un mélange d’indifférence et de délation
Alors en attendant ce jour où son bonheur sera complet – et peut-être aussi un peu pour l’accélérer, qui sait ? – Pauline prend un verre le soir avec ses amis, sur la terrasse du café, qui s’est étendue sur l’espace « apaisé » entre les deux magasins de Mahmoud, un petit sourire en coin. Cela l’aidera peut-être à comprendre qu’il n’est pas le bienvenu dans le quartier. Et s’il reçoit des amendes pour des infractions aux autorisations délivrées pour ses magasins, parce que son étalage est un peu plus haut que prévu ou parce qu’il a ouvert son magasin quelques minutes après 20h pour livrer un client arrivé en retard, ce que des voisins charitables et soucieux du respect de la loi se sont empressés de dénoncer, photos à l’appui, et bien là encore, avec un peu de chance ça devrait accélérer le changement tant attendu. Pauline aussi prend des photos… on l’a vue faire…
Voilà le monde merveilleux, « apaisé » de Pauline de Jette. Des Paulines, nous en avons rencontré d’autres, à Jette et dans d’autres communes. Des Mahmoud aussi, sans parler de tous ceux que nous ne connaissons pas et qui n’ont personne pour les aider.
Si comme nous vous n’avez pas envie de vivre dans un monde qui privilégie le chacun pour soi, l’indifférence, l’ostracisme, la méchanceté et la délation, et si vous lui préférez les valeurs de générosité, de solidarité, et le joyeux mélange qui fait tout le charme de Bruxelles, si vous ne voulez pas de ce cauchemar, alors il est temps de vous réveillez !!!
* Les prénoms ont été changés.