La “carte blanche” de Bianca Debaets (CD&V), Ans Persoons (Vooruit) et Adelheid Byttebier (Groen) dans Le Vif du 15/11/22 et intitulée « Quand l’homme tape du poing sur la table, la femme s’incline » est pour le moins interpellante.
Le féminisme y est instrumentalisé aux fins de promouvoir le plan Good Move, présenté comme un outil de libération des femmes. Celles-ci seraient menacées par « un petit groupe d’hommes qui détermine ce qu’est la norme », nécessairement violents, devant lesquels elles s’inclinent quand ils tapent du poing sur la table.
Sans le dire vraiment, les autrices dessinent le portrait de « l’homme barbare », par opposition à l’homme occidental civilisé, qui menace des femmes qu’il conviendrait de libérer avec, entre les lignes, toute une série de stéréotypes attachés aux « maghrébins » et à l’islam ainsi qu’aux classes populaires que la seule référence faite à Cureghem, d’où tout serait parti, suffit à mobiliser… Outre le racisme et le mépris de classe qui teintent ces propos, on peut regretter que les femmes y soient vues comme des objets (à libérer) plutôt que comme des sujets.
Cette instrumentalisation raciste du féminisme n’est pas nouvelle, malheureusement, mais elle est, en général, l’apanage de l’extrême droite. On peut comprendre que les partis auxquels les autrices appartiennent se sentent acculés face à la contestation massive du plan Good Move, qui prend l’eau de toute part, et cherchent désespérément comment sauver ce plan, voire à se sauver elle-même d’une telle déroute politique. Mais de là à vendre son âme en tenant des propos qui sont contraires aux valeurs que ces partis sont censés promouvoir ! Las …Mmes Debaets, Persoons et Byttebier viennent de franchir le Rubicon, apparemment sans aucun état d’âme. Certain.e.s de leurs électrices et électeurs, qu’elles ou ils soient contre ou pour Good Move, en ont probablement la nausée…
En réalité, si on doit vraiment aborder la question sous l’angle du genre, alors c’est le plan Good Move qui est hostile aux femmes.
Sur le fond d’abord. Comme l’a très bien expliqué Martin Vander Elst, chercheur à l’UCLouvain et membre du comité contre Good Move de Cureghem, dans son blog sur Mediapart, ce sont bien les familles monoparentales et, parmi elles, les mères seules qui sont parmi les plus impactées par la mise en œuvre de Good Move. Si les autrices de la « carte blanche » veulent vraiment faire œuvre de sororité et aider les femmes, alors qu’elles se mobilisent, au sein de leurs partis respectifs, pour la réalisation – enfin ! – d’un réseau de métro et de RER rapide et efficace, seul à même de leur permettre de résoudre l’équation temporelle à laquelle beaucoup de ces femmes sont confrontées quotidiennement et qu’elles ne peuvent bien souvent pas résoudre autrement que par l’utilisation de la voiture. Et qu’elles travaillent à sérieusement réduire les importantes inégalités salariales, plutôt que de vendre la bicyclette comme une solution magique.
Sur la forme ensuite. Ne nous leurrons pas : même si certains font tout pour rester dans l’ombre, Good Move a été conçu avant tout par des hommes. Ceux-ci n’hésitent pas à envoyer au front leurs petites soldates. Si elles tombent sur le champ de bataille, tant pis, les généraux, eux, sont bien au chaud et à l’abri. On ne peut que penser à Theresa May que ses collègues masculins du parti conservateur ont mis sur le devant de la scène pour faire le sale boulot après le Brexit, avant de la renvoyer à ses fourneaux quand ils n’ont plus eu besoin d’elle… Récemment, Pascal
Smet a ainsi affirmé que « son » plan était très bien, et que c’était sans doute sa mise en oeuvre par Mme Van den Brandt qui expliquait les oppositions. On appréciera l’élégance du propos…
Enfin, pour rétablir un minimum de vérité, non, les interpellations et manifestations de ces dernières semaines contre Good Move ne sont pas le fait « d’hommes conducteurs », pour reprendre les propos de Mme Thibaut de Maisières sur Tweeter. Des femmes et même des enfants y ont participé, en nombre. Et non, ces interpellations et manifestations n’ont pas donné lieu à ces violences que certains décrivent sans jamais avoir parlé avec les personnes concernées et enquêté sur le terrain. Certes, le ton a pu monter à certaines occasions. Mais oui, à force de parler sans être entendu ni même écouté, depuis des mois voire des années dans certaines communes, on en finit par devoir « crier ».
Et ce sont bien souvent les femmes qui crient le plus fort ! Allez-voir les vidéos des interpellations à Anderlecht, Jette ou encore Schaarbeek, vous serez étonnés. C’est d’ailleurs par le fait de n’avoir pas été entendus que certains militants écologistes justifient des actions qu’ils qualifient eux-mêmes de « sabotage ». Apparemment, cela ne fonctionne que dans un seul sens. Crever les pneus d’un SUV ou bloquer une autoroute, c’est de la désobéissance civile. Démonter des panneaux de circulation, avec l’accord de la police, proprement, sans les dégrader, ou les recouvrir d’un sac poubelle ou de peinture à l’eau facile à effacer, c’est de la violence.
Nous ne sommes pas des potiches, et personne ne nous dit ce que nous devons penser ou faire. Ni les hommes qui nous entourent, ni les autrices de cette « carte blanche », ni les membres d’Ecolo/Groen. Nous n’avons pas besoin qu’on nous explique. Nous avons parfaitement compris. Et nous ne voulons décidément pas du modèle de société inégalitaire, particulièrement pour les mères seules avec enfants, qui se dessine derrière le plan Good Move.
Carte blanche signée par plus de 60 femmes, parue dans le Vif du 21 novembre 2022 , le journal s’étant permise de censurer les passages dénonçant le racisme des propos auxquels il était répondu. Dénoncer le racisme semble donc « inconvenant »…